L'ANGE
 
Le soir, l'homme invite Dieu, le Suprême Un, l'Autre, celui qui peut, qui pourrait...
Le soir, l'homme invite Dieu au banquet de ses questions.
Sans le savoir...
Toutes les douleurs sont là. Lasses.
Toutes les hontes ressurgissent. Sournoises.
Toutes les peurs de l'être se concentrent dans le soir.
Dans la douceur du vent du soir.
Dans les ombres abîmées des territoires déserts.
L'instant où la terre expire enfin sa longue inhalation du jour.
Exhale dans le silence, les parfums subtils reçus dans la lumière.
 
Le soir encore où l'être-pensant de l'être-agissant
se découvre l'impérieuse nécessité
de rencontrer le coeur dans lequel il pourrait épancher ses craintes.
La délirante urgence d'une réponse à la question jamais formulée :
"Comment ?"
 
Quand l'être-agissant dit : "Pourquoi ?",
au soir venu, l'être-pensant crie : "comment ?"
Qui l'entend ?
L'Ange.
 
Où est l'Ange ? Tourné vers l'homme.
Comme le Verbe est tourné vers Dieu, l'Ange est tourné vers l'homme.
Mais où se tourne l'homme quand son être-pensant crie : "Comment ?".
Vers lui-même.
Vers la semblabilité, le visible, le sensible.
Et dès lors, son cri heurte l'écho glacé de l'ignorance.
Le cri se perd dans l'immensité sombre d'un soir perdu.
Le cri sans mot s'égare dans le vent, glapit son errance,
s'épuise et rampe à l'aube blafarde où l'être agissant le bâillonne.
L'homme cherche son Orient.....
(......)
Au temps du soir s'ouvre une brèche sur l'infini.
Voilà le vertige.
Le vertige essentiel.
Le vertige au-dessus duquel vacille l'être pensant.
Aspiré par l'éternité, encore ferré aux chevilles par sa peur de l'inconnu.
La main crispée sur le fil des habitudes,
qui refusent tous les "Pourquoi", tous les "Comment".
 
Au-dessus du vide, tourné vers l'homme, l'Ange.
L'Ange qui tend la main à la main prisonnière.
L'Ange qui appelle, qui rassure.
Qui cherche en l'homme l'âme de l'enfant.
Celle-là seule qui ose.
Qui ose s'élancer dans le vide vers les bras d'une mère, d'un père.
L'âme de l'enfant qui se confie, qui dit oui à tout.
Qui rend possible Tout...
Même parler avec l'Ange.
 


Il y eut le soir de Claire... triste.
Le soir de son vertige.
Où marchant dans l'ivresse de la terre, le cri gestant naquit enfin :
"Comment ?"
Il y avait de l'abandon dans ce cri-là, plus d'impatience.
Une prière résumée à l'urgence.
Elle dit : "Comment ?"
Et l'Ange fut ;
tourné vers elle, attentif de toute éternité.
Toujours elle avait été dans l'attente.
Non dans l'attente de quelque chose, de quelqu'un,
seulement dans l'attente de voir justifier cette attente-là.
 
Tant que l'Ange était tourné vers elle, et seulement cela,
dans son ignorance à elle de ce regard,
elle avait pensé connaître certaines vérités.
Mais dès lors qu'elle-même se tourna vers lui,
l'ardence du contact la bouleversa comme jamais.
Elle se vit misérable, pieds nus dans l'herbe tendre,
à balbutier ses contradictions, et éclata en sanglots.
 
L'Ange ne murmura qu'un mot : "Enfin....
 
 
 
Cité par Marie de Solemne…